Astérix et le cinéma, c’est une vieille histoire. Le petit Gaulois a déjà fait l’objet de neuf adaptations en dessin animé depuis 1967, plus quatre longs-métrages en prises de vues réelles depuis 1999. Etrangement, jamais la technique de l’animation 3D n’avait encore été utilisée. Le Domaine des Dieux est donc une grande première pour la saga, tout comme l’arrivée – inévitable – de la stéréoscopie.
La réalisation a été confiée au studio parisien Mikros Image, dont il s’agit du premier long-métrage d’animation. Avant toute chose, l’équipe a dû convaincre que l’univers d’Uderzo s’adaptait bien à l’animation 3D et au relief. Pour cela, une série de tests a été réalisée sous la direction du superviseur de l’animation Patrick Delage. Le feu vert étant obtenu, Mikros Image s’est installé dans un local spécifique, un ancien garage à Levallois.
Il fallait relever un défi considérable : réaliser un film de 80 mn en 3D relief en l’espace de 30 mois à peine ! “Nous avons dû développer un pipeline de fabrication adapté au long-métrage d’animation,” indique Nicolas Trout, directeur de production, “ce qui signifiait un choix dans les outils et les logiciels qui allait impacter toute la fabrication du film.”
Maya a été sélectionné pour la 3D, Nuke pour le compositing, Katana pour l’éclairage, Arnold pour le rendu, Houdini pour les effets spéciaux et notamment les fluides, Octopus et Shotgun pour le suivi de projet. Sont également venus s’ajouter au fil du projet de nombreux logiciels « maison » pour assurer les passerelles et répondre aux besoins spécifiques d’Astérix et le domaine des dieux, notamment en termes d’animation.
Producteur exécutif du film, Mikros image a encadré la partie du travail effectué en Belgique par les studios Grid et Nozon (décors, animation, rendu) dans le cadre des accords de coproduction. Une équipe d’une douzaine d’ingénieurs et directeurs techniques chapeautée par François Zarroca, directeur technique de l’animation, s’est occupée de tous les processus spécifiques du pipeline.
Un design à mi-chemin entre réalisme et BD
Le design des décors était bien entendu basé sur le look des environnements dans la BD. “On a extrapolé en faisant évoluer les personnages dans un univers plus ouvert, plus riche, et plus réaliste,” raconte le coréalisateur Louis Clichy, ancien de Pixar où il a travaillé sur Là_Haut, Ratatouille et Wall-E. “Pour la forêt, par exemple, on souhaitait réaliser une sorte d’imaginaire de la forêt de Brocéliande, pas féerique au sens de Disney, mais très organique, ce qui est extrêmement difficile à faire en 3D. À l’inverse, on a très peu extrapolé le style romain qui, par ses lignes géométriques, tranche avec l’univers de la forêt. Le domaine des dieux, lui, évoque un peu le Caesar’s Palace de Las Vegas. Le palais de César, dont je voulais faire un vrai méchant est un bâtiment très froid, avec un marbre glacial, et on a donc favorisé les moments où le personnage est dans une quasi totale obscurité.”
Sur le plan du graphisme des personnages, les deux réalisateurs Louis Clichy et Alexandre Astier ont eu à choisir entre l’extrême réalisme, comme pour les cheveux par exemple, et un dessin plus proche de la BD. “Un excès de réalisme aurait rendu les personnages trop simplistes,” avoue Astier. “Nous avons opté pour un entre-deux : on est bien dans un univers de dessin animé, mais avec un niveau important de détails, en matière de textures, de grain et de patine sur les vêtements. Et on a travaillé les clairs-obscurs et les ombres portées sur les personnages, alors que c’est précisément ce qu’on essaie d’éliminer dans un film en prises de vue réelles.”
L’animation : rester fidèle à l’esprit
Pour l’animation, Louis Clichy avait des idées bien arrêtées : “Avec Patrick Delage, on a amené de la texture aux personnages, en donnant un côté réaliste à un design assez « cartoon ». Ce qui produit l’animation, c’est la technique du « key frame » : à la manière d’un Pixar, on n’a pas eu recours à la « motion capture » car ce dispositif ne donne pas d’intensité au regard et appauvrit le travail de l’acteur. Les comédiens ont été filmés pour qu’on s’inspire de temps en temps de leur gestuelle, comme Elie Semoun qui est particulièrement expressif ou bien Olivier Saladin (des Deschiens) qui nous a vraiment inspiré un des personnages de sénateur.”
Patrick Delage avait réalisé un test d’animation pour Albert Uderzo dès 2004, et l’auteur et dessinateur avait tout de suite validé le style choisi. Pour préparer Le Domaine des Dieux, le directeur de l’animation a travaillé pendant deux ans sur la transposition fidèle des dessins d’Uderzo dans un cadre tridimensionnel : “Ma référence pour ce film, c’était évidemment les dessins d’Uderzo. Je voulais absolument voir à l’écran les poses les plus drôles des personnages de la BD. Lorsque le plan s’y prêtait, on reproduisait à l’identique la position des personnages dessinés, puis on s’amusait à jouer à partir de ce point de départ. L’autre référence, c’était le style de l’animateur américain Chuck Jones, avec notamment des scènes dans lesquelles rien ne bouge à part les yeux, sur des poses fortes.
L’humour nait aussi de l’immobilisme des personnages, ce qui renvoie au cinéma de Jacques Tati par exemple. Certains animateurs ont eu du mal avec cette approche au début : ils avaient toujours tendance à faire bouger le personnage, cette immobilité allait à l’encontre de leur instinct ! Pour montrer l’esprit dans lequel il fallait travailler, j’ai aussi montré aux animateurs Les Tontons flingueurs et des extraits de La métamorphose des cloportes. Nous avions l’occasion sur ce film de faire des « actings » et des gestuelles bien français.” Par contre, dans les scènes de bagarre, c’était le style Tex Avery qui prend le dessus, avec de bons vieux effets de « stretch & squash » parfaitement adaptés à la situation.
Une équipe réduite chez Mikros Image
Tous les personnages ont d’abord été modélisés dans ZBrush pour être validés par la production. C’est seulement ensuite que l’équipe est passée à la modélisation dans Maya. “J’aime travailler de cette manière, je trouve que ça procure un vrai gain de temps et surtout une meilleure maîtrise du design,” précise Patrick Delage.
L’une des plus belles performances de l’équipe, c’est d’avoir réussi à créer ce long-métrage d’animation avec… une quinzaine d’animateurs seulement ! “Nous avons démarré avec une toute petite équipe en février 2013, puis le gros de l’équipe est arrivé en septembre, suivi par une vingtaine d’animateurs supplémentaires en Belgique (chapeautés par cinq animateurs qui avaient démarré le projet en France, ce qui garantissait la continuité).
Nous avons bouclé Astérix et le Domaine des dieux en juin 2014. J’ai toujours privilégié ce type de structure réduite. C’est tout le contraire de la méthode américaine. Ils font leurs films en moitié moins de temps, mais ils ont 70 animateurs qui bossent 70 heures par semaine et parfois même le week-end… Personnellement, je trouve qu’on livre un meilleur travail et que l’investissement est plus efficace avec une petite équipe sur une longue période, plutôt que le contraire. Il y a une cohérence plus forte dans le jeu des personnages.”
Les animateurs les plus expérimentés étaient chargés des personnages de premier plan, tandis que les autres s’occupaient de l’arrière-plan. “Cette répartition des tâches permettait aux meilleurs animateurs de ne pas gaspiller leur énergie sur les personnages secondaires, car ces derniers demandent malgré tout énormément de travail,” précise Delage. “J’ai travaillé chez Pixar sur Ratatouille, et ils fonctionnaient exactement de cette manière.”
Un rig spécifique
La nature particulière du design des personnages a impliqué le développement d’un rig (l’armature à l’intérieur du modèle qui permet de faire bouger un personnage) spécifique pour ce projet. “Dans la BD, les expressions sont très graphiques. Il fallait trouver des solutions afin de respecter le caractère de chaque personnage. Nous avons utilisé le système du BCS, un plug-in dans Maya qui permet de faire des mixes de différentes « shapes », afin d’avoir le contrôle sur les déformations du visage. Chaque expression était dessinée, modelée. Sans cette préparation, l’animation n’aurait pas été aussi efficace, notamment pour les plans minimalistes. Pour la partie du rigging, il a fallu trouver des solutions de flexibilité avec des déformeurs légers. Tous ces personnages ont un nez énorme, il fallait un rig modulable afin de redessiner au besoin les poses à l’écran selon les angles de camera.”
L’une des caractéristiques de la bande dessinée, c’est la manière dont Uderzo souligne les émotions d’Astérix en faisant bouger les ailes de son casque. Un effet reproduit à l’identique par les animateurs sur le film. Les ailes devaient sembler directement connectées au système nerveux du personnage, ce qui renforce l’impact de l’animation faciale.
Pour Patrick Delage, la supervision de l’animation d’Astérix et le Domaine des dieux a été comme un voyage dans le temps : “Lorsque je suis sorti de l’école d’animation des Gobelins, mon premier job a été sur un Astérix, en l’occurrence Le coup du menhir (1989) ! Déjà à l’époque, j’avais trouvé que l’animation 2D n’était pas vraiment adaptée à cet univers – il manquait une énergie. Il s’avère qu’Astérix et les autres personnages sont très difficiles à animer en 2D, le dessin d’Uderzo est unique. C’est un univers paradoxalement assez complexe à visualiser en animation. Le passage à la 3D était donc une solution idéale pour Le Domaine des Dieux. Comme les personnages sont déjà là, pas besoin de repartir de zéro à chaque image, il n’y a plus la peur de la page blanche. On peut se concentrer sur l’animation pure, et je pense que le résultat s’en ressent.”
CHIFFRES CLÉS MIKROS IMAGE :
158 personnages
180 personnes (studio animation)
700 jours de production
1050 plans fournis au montage
6600 cœurs de calculs pour le rendu
17.500 étapes de validation soumises au réalisateur
233.000 images finales calculées
390.000 lignes de code pour le seul outil de pipeline
1.700.000 heures de calcul
4.000.000 plans calculés/rendus au cours de la production
69.000.000 fichiers informatiques